Litiges en bail commercial : solutions et prévention

On dit souvent qu’il y a trois règles d’or pour réussir dans le commerce : “L’emplacement, l’emplacement et l’emplacement”. Un adage qui montre à quel point la localisation, mais aussi l’aménagement et la qualité d’un local commercial jouent un rôle fondamental dans le succès ou l'échec d’un fonds de commerce.
C’est donc en toute logique que tout ce qui tourne autour de la location d’un local commercial est sujet sensible. L’importance stratégique de ces locaux pour l’activité du preneur, alliée aux enjeux économiques pour le bailleur, peut rapidement faire surgir des tensions.
Certaines divergences d’interprétation, négligences ou décisions unilatérales suffisent à provoquer des litiges. Heureusement, des outils juridiques existent pour encadrer, résoudre et surtout prévenir ces différends. Tour d’horizon.
Quelles sont les principales sources de litige dans un bail commercial ?
Un bail commercial est un contrat qui engage, d’un côté, un bailleur propriétaire d’un local, et de l’autre côté, un locataire ou “preneur”. Bailleur et preneur ont des droits et obligations, encadrés par les articles L145-1 et suivants du Code de commerce et repris dans les différentes clauses du contrat.
Si l’une ou l’autre des parties ne respectent pas une ou plusieurs de ses obligations, ou bien si l’une ou l’autre des parties se sent lésée vis-à-vis de l’un de ses droits, alors survient un désaccord pouvant se transformer en litige.
“Le plus souvent, les litiges en bail commercial sont liés aux obligations respectives de chacun, confirme Benoît Goulesque-Monaux, avocat associé au sein du cabinet Taylor Wessing, département contentieux. En période de post-Covid, on enregistre de nombreuses défaillances d’entreprises qui ont nécessairement des répercussions sur les baux commerciaux en cours. Mais d’autres motifs sont également récurrents.”
L’augmentation ou le non-paiement du loyer
Parmi les situations les plus souvent à l’origine de conflits entre propriétaires et locataires commerciaux, on retrouve tout d’abord les différentes problématiques autour du montant et du versement du loyer.
La révision triennale du loyer (bail 3/6/9) ou l’application d’une clause d’indexation peut être contestée, notamment si elle entraîne une hausse jugée excessive. À l’inverse, le non-versement régulier du loyer par le preneur constitue un manquement grave.
Afin d’éviter toute mauvaise surprise, il est primordial de porter une attention aux clauses de révision du loyer dans le bail commercial (indice, périodicité).
La répartition des charges et des travaux
Les charges récupérables, les grosses réparations ou encore l’entretien courant peuvent donner lieu à des désaccords, surtout si le bail n’en précise pas clairement la répartition.
Il faut tout de même savoir que le bailleur doit prendre à sa charge toutes les grosses réparations énumérées dans l’article 606 du Code civil. Autrement dit, tous les travaux liés à la structure du bâtiment (murs, toiture, charpente, etc.). De son côté, le preneur a le devoir d’entretenir le local et de le restituer en bon état à la fin de son occupation.
La fin du contrat ou le refus de renouvellement
La non-reconduction du bail ou un congé donné sans motif légitime suscitent souvent des contestations, notamment en matière d’indemnité d’éviction. En effet, “en cas de résiliation ou de non-renouvellement à l’initiative du bailleur, et donc de départ forcé, le bailleur doit au preneur une indemnité d’éviction, dont le montant peut être source de désaccord”, avertit Benoît Goulesque-Monaux.
Le montant de l’indemnité d’éviction est souvent proportionnel au chiffre d’affaires du commerçant locataire. Elle est censée indemniser ce dernier pour la gêne occasionnée par son départ forcé. “En général, on demande la désignation par le juge d’un expert pour en déterminer le montant de façon impartiale”, souligne l’avocat de chez Taylor Wessing.
Inversement, si le preneur ne quitte pas les lieux comme souhaité par le bailleur et que ce dernier s’estime dans son droit, il peut lui appliquer des indemnités d’occupation pour chaque jour supplémentaire passé dans le local.
“Il est aussi possible de recourir à une procédure d’expulsion à n’importe quel moment de l’année, puisqu’il n’y a pas de trêve hivernale en bail commercial. Mais cette procédure est souvent longue, coûteuse et fastidieuse”, prévient l’expert.
Les travaux dans les locaux
Autre source de litiges entre bailleur et preneur : la réalisation de travaux dans le local commercial. Qu’il s’agisse de travaux engagés par le bailleur (rénovation, mises aux normes) ou le preneur (aménagements), des différends peuvent apparaître quant à leur autorisation, leur exécution ou leur financement.
La déspécialisation
Enfin, un litige en bail commercial peut également porter sur la déspécialisation du local. On appelle déspécialisation le fait de changer la nature de l’activité commercial exercée au sein du local.
En effet, un bail commercial est signé pour une activité commerciale en particulier. Le changement de cette activité, qu’elle soit partielle ou totale, doit nécessairement recueillir l’accord du bailleur. Et un refus ou un litige autour des conditions de ce changement est fréquent.
“Parfois, le bailleur a un motif légitime de refus de déspécialisation. Par exemple, si le preneur veut ouvrir un bar-restaurant alors que des appartements se trouvent au-dessus. Tout dépend de l’activité souhaitée et de ce que prévoit le contrat”, résume Benoît Goulesque-Monaux.
A savoir
Une déspécialisation partielle ou totale peut s’accompagner d’une augmentation du loyer ou du versement d’une indemnité compensatrice, prévues dans les clauses du contrat.
Quelle est la procédure en cas de litige ?
Si le litige paraît insolvable et que bailleur et preneur ne parviennent pas à se mettre d’accord, trois solutions s’offrent à eux.
1. La recherche d’une solution amiable
La première, c’est la recherche d’un accord amiable. Avant tout contentieux judiciaire, la voie amiable est en effet vivement recommandée, voire obligatoire dans certains cas.
Il faut dire qu’elle offre de sérieux avantages : moins coûteuse mais aussi plus rapide, la recherche d’une solution amiable est aujourd’hui la plus utilisée en cas de litige entre bailleur et preneur.
Deux options sont possibles :
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La médiation conventionnelle : Les parties peuvent recourir à un médiateur spécialisé pour engager un dialogue structuré et encadré. Cette médiation peut être déclenchée à tout moment, à l’initiative de l’une ou des deux parties. Le médiateur est neutre et n’impose pas de solution, mais favorise l’émergence d’un accord.
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La conciliation : Il est également possible de solliciter un conciliateur de justice. La démarche est gratuite, volontaire et confidentielle. Elle peut être engagée en ligne ou auprès du tribunal judiciaire.
“Nous avons de très bons retours sur ces solutions amiable aujourd’hui, assure l’avocat expert en contentieux du cabinet Taylor Wessing. D’ailleurs, les juridictions imposent de plus en plus la médiation aux avocats, depuis la réforme de la justice qui consacre ces modes alternatifs de règlement des litiges. Cela permet de régler de nombreux cas et ainsi de désengorger les tribunaux.”
2. La Commission départementale de conciliation (CDC)
Pour certains litiges, notamment liés à la révision du loyer ou au renouvellement du bail, une saisine de la Commission départementale de conciliation des baux commerciaux est envisageable.
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Compétence : La CDC intervient uniquement dans des litiges relatifs au montant du loyer à l’occasion d’un renouvellement ou d’une révision.
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Déroulement : Une réunion de conciliation est organisée. Si aucun accord n’est trouvé, un procès-verbal de non-conciliation est établi, souvent indispensable pour la suite judiciaire.
Pour saisir la CDC, il faut envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception à la préfecture du département concerné. Vous recevrez ensuite une convocation dans les 1 à 2 mois.
L’avantage, c’est que la saisine de la Commission départementale de conciliation des baux commerciaux est gratuite, elle n’engage aucun frais. Elle peut être une bonne solution pour désamorcer un litige avant qu’il n’aille au tribunal.
3. La saisine du tribunal compétent
En l’absence de solution amiable, il reste possible de saisir le tribunal judiciaire, juridiction compétente en matière de baux commerciaux.
Dans ce cas, la requête se fait par assignation via un avocat. La représentation par un avocat est obligatoire, sauf cas spécifiques. Le dossier sera ensuite pris en charge par la juridiction compétence, qui est celle dont dépend le lieu où se situe le local commercial concerné.
“Les délais sont généralement plus longs, et varient d’une juridiction à l’autre, avertit Benoît Goulesque-Monaux. Ils s’allongent également si une expertise judiciaire est nécessaire pour statuer.”
Les parties reconnues en tort s’exposent à des sanctions qui varient selon la gravité du manquement constaté par le juge. Cela va de la résiliation du bail au versement de dommages et intérêts pour réparer un préjudice subi en passant par l’exécution sous astreinte, en cas de refus d’exécuter une obligation contractuelle, comme la réalisation de travaux, la remise en état du local ou le paiement des loyers dus, par exemple.
Prévenir les litiges : bonnes pratiques pour bailleurs et locataires
Avant d’en arriver à devoir trouver un mode de résolution des conflits, qu’il soit amiable ou judiciaire, il est préférable d’éviter que ne survienne tout litige, selon le précepte qui a fait ses preuves : “mieux vaut prévenir que guérir”. La prévention reste en effet la meilleure stratégie pour éviter les désaccords et préserver une relation durable entre bailleur et preneur.
Le premier conseil pour prévenir tout litige, c’est de rédiger un contrat clair. “Le contrat doit être le plus clair possible, assure l’avocat expert. Cela signifie qu’il est rédigé de façon précise, avec une attention toute particulière sur les clauses essentielles liées au loyer, aux charges, aux travaux et à la résiliation du bail.”
Evidemment, les parties doivent également respecter leurs obligations. “Le preneur paie le loyer et entretient les lieux. De son côté, le bailleur délivre un local conforme et assure les réparations qui s’imposent”, résume l’avocat.
L’autre clé, c’est une communication régulière et transparente entre le bailleur et le preneur. Cela permet d’anticiper les tensions et de ne pas laisser un désaccord s’installer et monter en épingle. Pour cela, il est nécessaire d’accompagner la parole aux actes, en fournissant par exemple des documents justificatifs des charges, en payant les loyers dans les temps, en régularisant à temps les charges locatives, mais aussi en échangeant systématiquement lors de changements majeurs comme la réalisation de travaux ou une modification d’activité.